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Europe : comment continuer de perdre jusqu'au bout

25 Jan 05

Europe : comment continuer de perdre jusqu'au bout

Permalink 00:34:45, Catégories: Politique, France, Bêtisier, 842 mots
https://evoweb.net/blog/Europe--comment-continuer-de-perdre-jusqu-au-bout.html

Vous vous rappellez qu'à une époque on disait que la Très Grande Bibliothèque de France démontrait l'avance extraordinaire prise par la France dans le domaine de la culture ? Et bien le discours a changé : il faut maintenant se plaindre de l'extrordinaire retard pris par la France et essayer de le faire supporter par l'Europe.

Trouvé grâce à Outil Froid, un article révélateur de Jean-Noël Jeanneney dans Le Monde daté du 22 janvier : "Quand Google défie l'Europe". En résumé :

  1. Le secteur privé américain distance de plus en plus vite l'Europe étatique (en terme quotidien, on parlerait de "raclée")

  2. Comme prévu, annoncé, dénoncé, décrit, et craint depuis plus de 10 ans, les conséquences pour l'Europe seront dramatiques

  3. Il faut lutter, c'est-à-dire augmenter l'intervention étatique en Europe !!!



 

L'article est très bien écrit et très bien construit : l'heure est grave, et son auteur a fait un effort. le titre de l'article est précis (c'est l'annonce par Google de la numérisation des documents de 5 Universités Américaines que dénonce Jeanneney), tout en augmentant artificiellement l'importance de l'Europe (Google défie l'Europe). le chapeau de l'article, en gras, donne le ton :
"Voici que s'affirme le risque d'une domination écrasante de l'Amérique dans la définition de l'idée que les prochaines générations se feront du monde."
Il a raison : il ne s'agit plus d'un risque qui se profile, comme on pouvait le penser il y a 8 ou 10 ans, mais bien d'un risque qui s'affirme. En fait, il aurait même pu supprimer le terme risque, qui laisse supposer une issue, une possibilité, un doute, lesquels ne sont plus de mise.

Dans le corps de l'article, Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France, détaille tout d'abord ces "risques" :

  • Le biais : non seulement Google ne numérise que des documents des Universités Américaines, mais il ne les numérisera pas tous, et la sélection sera faite par des Américains

  • La conséquence sur la référence scientifique : celle-ci est de plus en plus nécessaire pour distinguer le vrai du faux, et "La production scientifique anglo-saxonne, déjà dominante dans une quantité de domaines, s'en trouvera forcément survalorisée, avec un avantage écrasant à l'anglais par rapport aux autres langues de culture, notamment européennes.

  • Le gain financier de Google : vivant grâce à la publicité, Google bénéficiera de son investissement

  • L'impact économique direct : " Les publicités en marge des pages et les liens privilégiés guideront vers des achats qui accentueront le déséquilibre."

Tout cela semble solide. Bien sûr, le dernier point est assez étrange : signifie-t-il que Jeanneney prévoit que la publicité Google sera réservée aux sociétés Américaines, ou que toute société faisant de la publicité sur Google est une traître à la cause ?

Une fois les problèmes posés, il faut passer aux propositions de solution. Le premier problème, remarque Jean Noël Jeanneney, est qu'Internet ne permet pas le protectionnisme. Comment l'Europe peut-elle s'en sortir dans ces conditions ? Que peut-elle faire si elle ne peut pas interdire ? Nos bureaucrates sont perdus. Heureusement, d'autres voies sont possibles, et Jeanneney propose : "la contre-attaque, avec un soutien positif à la différence". Comme on le voit, l'exception culturelle ne suffit plus, il est nécessaire d'en arriver à la discrimination positive culturelle !

Hélas, pour mener cette contre-attaque, l'Europe ne dispose que de très peu de moyens. L'auteur remarque notamment que la BNF a un budget de mise en ligne de documents qui est mille (1 000) fois inférieur à celui de Google. Les phrases suivantes de l'article montre l'ampleur du désastre : " Le combat est par trop inégal", "Une autre politique s'impose", et "L'heure est donc à un appel solennel". La réthorique nous le démontre : l'heure n'est plus au triomphalisme !

Arrive le plan de la contre-attaque :
"Un plan pluriannuel pourrait être défini et adopté dès cette année à Bruxelles. Un budget généreux devrait être assuré. C'est en avançant sur fonds publics que l'on garantira aux citoyens et aux chercheurs - pourvoyant aux dépenses nécessaires comme contribuables et non comme consommateurs - une protection contre les effets pervers d'une recherche de profit dissimulée derrière l'apparence d'un désintéressement."
Synthétisons :
  1. Le plan pluriannuel de la Très Grande Bibliothèque a été un fiasco, comme vient de l'avouer son Président. Il faut donc un autre plan pluriannuel.

  2. Bien sûr, celui-ci devra coûter cher aux contribuables : Google prend de l'avance sans utiliser les impôts, il est essentiel que l'Europe défende sa différence en augmentant ceux-ci.

  3. La philosophie générale est fixée : Profitabilité égale perversité.
Nous en sommes déjà à la conclusion :"Nous le pouvons, donc nous le devons." L'Etat peut, donc doit imposer ses fiascos : le message est clair.

Selon Outil Froid, cet article est "Un texte à lire absolument." Il a raison : au premier abord, on pourrait croire que ce texte n'est qu'une demande de budget supplémentaire d'un haut-fonctionnaire cherchant à cacher un échec trop flagrant, mais ce texte n'est pas que cela. Il faut regarder les arguments utilisés pour demander de l'argent : ces arguments montrent comment et pourquoi l'Europe continuera d'accélérer sa chute à chaque instant de sa décadence.

©Philippe Gouillou



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