Le Plan Kalergi : Extraits

©Philippe Gouillou - Mercredi 16 août 2017

Tags : Histoire - Politique - Sélection

L'obligation du métissage imposée aux Blancs Européens et la crise des migrants s'expliquent-elles par le Plan Kalergi ? La lecture des textes de Coudenhove-Kalergi montre que si c'est le cas, alors ce qu'on appelle Plan Kalergi ne correspond pas aux idées de Kalergi, mais en est une déformation.


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"L’objectif, c’est relever le défi du métissage […] C’est la dernière chance. Si ce volontarisme républicain ne fonctionnait pas, il faudra alors que la République passe à des méthodes plus contraignantes encore. Nous n’avons pas le choix.".
Nicolas Sarkozy (17 décembre 2008)

"L’humain du lointain futur sera un métis. (...) La race du futur, négroïdo-eurasienne, d’apparence semblable à celle de l’Égypte ancienne, remplacera la multiplicité des peuples par une multiplicité des personnalités."
Richard Coudenhove-Kalergi (1920)

Le "Plan de Kalergi" est souvent cité comme étant le fondement du métissage obligatoire imposé par Nicolas Sarkozy en 2008, et de la "crise des migrants" actuelle (qui correspond probablement à une de ces "méthodes plus contraignantes encore" promises par Sarkozy).

Par exemple, sur le site Demain dès l'aube on peut lire :

"Dans son livre “Praktischer Idealismus”, Kalergi indique que les résidents des futurs “Etats-Unis d’Europe” ne seraient plus les peuples du Vieux Continent, mais une sorte de sous-hommes, issus du métissage. il expose clairement que les peuples d’Europe doivent se mélanger avec les asiatiques et les races colorées, créant ainsi un troupeau multinational, sans qualités et facilement contrôlable par l’élite dominante.

Kalergi proclame l’abolition du droit à l’autodétermination et ensuite l’élimination des nations grâce à l’utilisation de mouvements séparatistes et des migrations de masse; pour que l’Europe puisse être contrôlée par une élite, il veut transformer le peuple en un mélange homogène de métisses blancs, noirs et asiatiques."

Qu'il y ait une volonté de changer la démographie européenne, au détriment des hommes d'origine européenne, est démontré par la citation de Sarkozy et par la découverte récente d'un accord obligeant l'Italie a accueillir tous les migrants. Mais s'agit-il vraiment du "Plan Kalergi" ?

Wikipedia francophone présente Kalergi comme :

"Le comte Richard Coudenhove-Kalergi (en allemand : Richard Graf Coudenhove-Kalergi1 ; en japonais : リヒャルト・ニコラウス・栄次郎・クーデンホーフ=カレルギー伯爵, Rihyaruto Nikorausu Eijirō Kūdenhōfu-Karerugī Hakushaku) né le 16 novembre 1894 à Tokyo au Japon et mort le 27 juillet 1972 à Schruns en Autriche, est un homme politique, essayiste, historien et philosophe d'origine austro-hongroise par son père et japonaise par sa mère. Il est l'un des premiers à avoir proposé un projet moderne d'Europe unie. Il peut être considéré, au sens large, comme l'un des pères de l'Europe dont il est un initiateur et un militant important."

La suite de la page (très complète) montre que Kalergi a eu une influence extrêmement forte sur la création de l'Europe.

La lecture de ses textes de 1920, 1922 et 1924 montre cependant une philosophie qui, si elle est datée (collectiviste et par côtés racialiste), ne prône rien qui ressemble à ce qu'on appelle "Plan Kalergi". Il reconnaît que les conditions de vie ont pu influencer les populations dans leur ensemble au cours des millénaires, il voit de bons côtés au métissage (qu'il prédit), mais les conclusions exaltées qu'il en tire ne sont pas des prescriptions, juste des tentatives de description.

L'Imprécateur résume :

"C’est peu après, en 1978, six ans après la mort de Coudenhove-Kalergi, qu’apparaît le Plan Kalergi que certains tentent de faire remonter à 1922, alors que le premier livre de Coudenhove-Kalergi, Paneuropa a été publié en 1923. On lui attribue le Plan Kalergi. Il porte son nom, mais il est permis de penser qu’il s’agit d’un faux et que les auteurs ont cherché à utiliser sa notoriété pour dissimuler leur projet néo-nazi. En effet, les rédacteurs du Plan s’appuient surtout sur son livre Praktisher idealismus, mais quand on a lu ce livre, on s’aperçoit vite que l’on ne retrouve dans le "Plan Kalergi" que des bouts de citations tronquées, sorties de leur contexte, sans références directes et qu’il va totalement à l’encontre de la philosophie du père de l’Europe des Nations."

A noter que si Kalergi semble par moments tenté par le modèle socialiste (la Révolution Russe n'a que 7 ans), il finit par le rejeter et est prophétique en promouvant une union européenne pour se défendre des risques expansionnistes soviétiques (déjà).

Les trois textes sont téléchargeables en format PDF, mais comme ils sont assez longs à lire, j'en ai extrait les passages les plus significatifs afin que chacun puisse se faire une idée rapide.

Liens

Références

Coudenhove-Kalergi, R. N. (1925). Idéalisme pratique : Noblesse, Technique, Pacifisme. (A. A. Gasnier, Trans.) (2014th ed.). Vienne, Autriche: Editions Paneuropa.


(rem : les italiques sont d'origine, les gras sont ajoutés)

NOBLESSE (1920)

I Première partie : Des humains rustiques et urbains

I.1 Humain de la campagne — Humain de la ville

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La campagne et la ville sont les deux pôles du Dasein [Dasein : existence, être-là] humain. La campagne et la ville engendrent leur type humain spécifique : des humains rustiques et urbains.
L’humain rustique et l’humain urbain sont des antipodes psychologiques.

I.2 Junker - Lettré

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L’apogée [Blüte] de l’humain rustique est le noble propriétaire terrien [Landadelige], le junker. L’apogée de l’humain urbain est l’intellectuel, le lettré. La campagne et la ville ont toutes deux engendré leur type de noblesse spécifique : la noblesse de volonté s’oppose à la noblesse d’esprit, la noblesse de sang à la noblesse cérébrale. Le junker typique allie un maximum de caractère avec un minimum d’intellect — le lettré typique un maximum d’intellect avec un minimum de caractère.

I.3 Gentleman - Bohémien

Page 13

En Europe, la noblesse de sang et la noblesse d’esprit se sont créé leur type spécifique: le gentleman pour la noblesse de sang anglaise; le bohémien pour la noblesse d’esprit française.
Le gentleman et le bohémien se rejoignent dans le désir de fuir la morne laideur du Dasein petit-bourgeois : le gentleman la dépasse grâce au style, le bohémien grâce au tempérament. Le gentleman oppose à l’informe de la vie la forme — le bohémien à l’incolore de la vie la couleur.

I.4 Consanguinité - Croisement

Page 16

L’humain rustique est majoritairement un produit de la consanguinité [Inzucht], l’humain urbain un métissage [Mischling : métis (pour les humains), bâtard (pour les animaux)].

Page 18

La consanguinité renforce le caractère, affaiblit l’esprit — le croisement affaiblit le caractère, renforce l’esprit. Là où la consanguinité et le croisement se rencontrent sous des auspices favorables, ils créent le plus haut type d’êtres humains, alliant au caractère le plus fort l’esprit le plus acéré. Là où sous des auspices défavorables se rencontrent la consanguinité et le mélange, ils engendrent des types dégénérés au caractère faible, à l’esprit racorni.

L’humain du lointain futur sera un métis. Les races et les castes d’aujourd’hui seront victimes [22] du dépassement toujours plus grand de l’espace, du temps et des préjugés. La race du futur, négroïdo-eurasienne, d’apparence semblable à celle de l’Égypte ancienne, remplacera la multiplicité des peuples par une multiplicité des personnalités. En effet d’après les lois de l’héritage, avec la diversité des ancêtres grandit la diversité des descendants, et avec l’uniformité des ancêtres grandit leur uniformité. Dans les familles consanguines, un enfant ressemble à l’autre : car tous représentent le seul type familial commun. Dans les familles métissées, les enfants se différencient davantage les uns des autres : chacun forme une nouvelle variation des éléments divergents des parents et des grands-parents.

La consanguinité engendre des types caractéristiques— le croisement engendre des personnalités originales.

I.5 Mentalités païenne et chrétienne

Page 23 :

Ce qui sépare principalement les Juifs des citadins moyens est le fait qu’ils soient des humains consanguins. La force de caractère alliée à l’acuité spirituelle prédestine le Juif à devenir, à travers ses exemples les plus éminents, un leader de l’humanité urbaine, un faux ou véritable aristocrate de l’esprit, un protagoniste du capitalisme comme de la révolution. [28]

Deuxième partie : Crise de la noblesse

II.6 La domination de l’esprit au lieu de la domination de l’épée

Page 25 :

Notre âge démocratique est un pitoyable interlude entre deux grandes époques aristocratiques : l’aristocratie féodale d’épée et l’aristocratie sociale de l’esprit. L’aristocratie féodale est en déclin, l’aristocratie de l’esprit en devenir. Le temps intermédiaire se nomme démocratique, mais est en vérité dominé par la pseudo-aristocratie de l’argent.

Deux inventions [Erfindungen : trouvées-en-cherchant] ont vaincu le Moyen Âge et ouvert les temps modernes : l’invention de la poudre a signifié la fin de la domination du chevalier, l’invention de l’imprimerie le début de la domination de l’esprit.

Gutenberg a donné aux plumes la puissance que Schwarz(17) avait retirée aux épées. Avec l’aide de l’encre d’imprimerie, Luther a conquis un royaume plus grand que ne l’ont fait tous les empereurs allemands.
(17: [NdT] Berthold Schwarz (1318-1384), chimiste allemand ayant notamment travaillé sur la poudre noire.)

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La démocratie repose sur le présupposé optimiste qu’une noblesse spirituelle pourrait être reconnue et élue par la majorité populaire.

Ce développement, et donc le chaos de la politique moderne, ne prendra fin que si une aristocratie spirituelle [32] s’approprie les instruments de pouvoir [Machtmittel] de la société : poudre, or, encre d’imprimerie, et les utilise pour le bien de la communauté.
Le bolchevisme russe représente une étape décisive vers ce but. Un petit groupe d’aristocrates de l’esprit communistes y régit le pays, rompant sciemment avec le démocratisme ploutocrate qui domine aujourd’hui le reste du monde.

Le combat entre le capitalisme et le communisme pour l’héritage de la noblesse de sang vaincue, est la guerre fratricide de la noblesse cérébrale victorieuse, un combat entre l’esprit individualiste et l’esprit socialiste, entre l’esprit égoïste et l’esprit altruiste, entre l’esprit païen et l’esprit chrétiens. L’état-major de ces deux partis se recrute dans la race des leaders spirituels européens : dans le judaïsme.
Le capitalisme et le communisme sont tous deux rationnels, tous deux mécanicistes, tous deux abstraits, tous deux urbains.

II.7 Crépuscule de la noblesse

Page 28

Au fil des temps modernes, la noblesse de sang a été empoisonnée par l’atmosphère de cour, et la noblesse d’esprit par le capitalisme.

Page 29

La noblesse cérébrale n’a pas pu prendre le relais de la noblesse de sang car elle aussi se trouvait dans une crise, dans un état de déclin. [35] La démocratie est née de cette situation embarrassée : non parce que les gens ne voulaient pas de noblesse, mais parce qu’ils ne trouvaient pas de noblesse. Dès qu’une nouvelle et véritable noblesse se sera constituée, la démocratie disparaîtra d’elle-même. C’est parce l’Angleterre possède [besitzt] une véritable noblesse qu’elle est restée, en dépit de sa constitution démocratique, aristocratique.

Page 30

L’intelligentsia journalistique [publizistische] a aussi trahi sa mission de leader. Elle qui était appelée à devenir la leader et la professeure spirituelle des masses, appelée à compléter et à améliorer ce qu’un système scolaire rétrograde a raté et brisé — elle s’est rabaissée dans sa monstrueuse majorité en esclave du capital, en illustration biaisée [Verbilderin] des goûts politiques et artistiques.

(...)

L’école et la presse sont les deux points à partir desquels le monde pourrait être [ließe], sans sang ni violence [Gewalt], renouvelé et ennobli. L’école nourrit ou empoisonne l’âme de l’enfant; la presse nourrit ou empoisonne l’âme de l’adulte. L’école et la presse sont aujourd’hui toutes deux aux mains d’une intelligentsia dénuée d’esprit : la remettre aux mains de l’esprit serait la plus haute tâche de toute politique idéale, de toute révolution idéale.

Page 31

Les anciennes noblesses de sang et cérébrale ont perdu le droit d’être encore considérées en tant qu’aristocraties ; car il leur manque les signes de toute véritable noblesse : le caractère, la liberté, la responsabilité. Les liens qui les unissaient à leur peuple, elles les ont rompus : à travers l’arrogance catégorielle [Standsdünkel] d’un côté, et l’arrogance culturelle [Bildungsdünkel] de l’autre.

II.8 Ploutocratie

Page 32

Aujourd’hui la démocratie est une façade de la ploutocratie : comme les peuples ne toléreraient pas la ploutocratie nue, il leur est laissé le pouvoir [Macht] nominal, tandis que le pouvoir effectif repose dans les mains des ploutocrates. Dans les démocraties républicaines comme monarchiques, les hommes d’État sont des marionnettes, les capitalistes des tireurs de ficelles
(...)
À la structure sociétale féodale s’est substituée la structure sociétale ploutocrate : ce n’est plus la naissance qui détermine la position sociale [soziale], mais le revenu. La ploutocratie d’aujourd’hui est plus puissante que l’aristocratie d’hier : car rien ne se situe au-dessus d’elle sinon l’État qui est son outil et son complice.

Page 35

À travers ce manque de culture esthétique et éthique, la ploutocratie ne s’attire pas seulement la haine, mais aussi le mépris de l’opinion publique et de ses leaders spirituels : parce qu’elle n’a pas su s’y prendre pour devenir noblesse, elle doit tomber.
La révolution russe signifie, pour l’histoire de la ploutocratie, le début de la fin. Même si Lénine est vaincu, son ombre dominera autant le XXe siècle que la Révolution française a déterminé le développement du XIXe

II.9 Noblesse de sang et noblesse du futur

Page 37

Sans noblesse, pas d’évolution. Une politique démocratique peut être eudémoniste — une politique évolutionniste doit être aristocratique. Pour [44] s’élever, pour avancer, des buts sont nécessaires ; pour atteindre des buts, des humains sont nécessaires, qui posent des buts, qui mènent aux buts : des aristocrates.

L’aristocrate en tant que leader est un concept politique ; le noble en tant que modèle est un idéal esthétique. La plus haute exigence requiert que l’aristocratie s’accorde avec la noblesse, le leader avec le modèle : que le leadership échoit à des humains accomplis [vollendeten : parfaits].

II.10 Judaïsme et noblesse du futur

Page 41

Les émissaires principaux de la noblesse cérébrale : du capitalisme, du journalisme, de la littérature, qu’elle soit corrompue ou intègre, sont des Juifs(20). La supériorité de leur esprit les prédestine à devenir l’un des éléments les plus importants de la noblesse du futur.

(...)

À travers d’innommables persécutions, l’Europe chrétienne tente depuis un millénaire d’éradiquer le peuple juif. Le résultat [Erfolg : réussite] en a été que tous les Juifs faibles en volonté, sans scrupule, opportunistes ou encore sceptiques, se sont laissé baptiser pour échapper aux supplices d’une persécution sans fin. De l’autre côté, sous ces conditions de vie très difficiles sont morts tous les Juifs qui n’étaient pas assez adroits, intelligents et inventifs pour soutenir ce combat pour le Dasein [Daseinkampf : combat pour l’existence], dans sa forme la plus rude.

Page 43

L’antisémitisme moderne est l’une des nombreuses manifestations réactionnaires des médiocres contre l’éminence ; c’est une forme moderne d’ostracisme, dirigée contre un peuple entier. En tant que peuple, le judaïsme fait l’expérience du combat éternel de la quantité contre la qualité, des groupes de valeur moindre contre des individus de valeur plus élevée, des majorités de valeur moindre contre des minorités de valeur plus élevée.

Les principales racines de l’antisémitisme sont la limitation et l’envie [Neid : jalousie] : la limitation pour ce qui relève du religieux ou du scientifique ; l’envie pour ce qui relève du spirituel ou de l’économique.

Page 45

Ce n’est pas seulement le judaïsme qui se transformera dans le sens de l’idéal occidental de noblesse — l’idéal occidental de noblesse fera lui aussi l’expérience d’une transformation qui retrouvera le judaïsme à la moitié du chemin. Dans une Europe du futur plus pacifique [friedlicheren], la noblesse se défera de son caractère belliqueux et l’échangera contre un caractère spirituo-sacerdotal [geistig-priesterlichen]. Un Occident pacifié et socialisé n’aura plus besoin de maîtres [Gebieter] et de dominants [Herrscher] — seulement de leaders [Führer], d’éducateurs et de modèles. Dans une Europe orientalisée, l’aristocrate du futur ressemblera davantage à un brahmane et à un mandarin qu’à un chevalier. [54]

Résumé

Pages 46-47

L’humain noble du futur ne sera ni féodal ni juif, ni bourgeois ni prolétaire: il sera synthétique. Les races et les classes, dans le sens d’aujourd’hui, disparaîtront, les personnalités demeureront. (...) La noblesse du passé était construite sur la quantité : la noblesse féodale sur le nombre d’ancêtres ; la noblesse ploutocrate sur le nombre de millions. La noblesse du futur reposera sur la qualité : sur la valeur personnelle, la perfection personnelle ; sur l’accomplissement du corps, de l’âme, de l’esprit.

Aujourd’hui, au seuil d’un nouvel âge, une noblesse de hasard [Zufalladel] s’est substituée à la noblesse d’héritage d’autrefois ; [55] au lieu de races de nobles : des individus nobles ; des humains dont la composition hasardeuse du sang les élève au rang de modèle type.

De cette noblesse de hasard d’aujourd’hui sortira la nouvelle race noble internationale et intersociale de demain. Toutes les personnes éminentes en beauté, en force, en énergie et en esprit se reconnaîtront et s’attacheront d’après les lois secrètes de l’attraction érotique. Que tombent d’abord les limites artificielles érigées entre les humains par le féodalisme et le capitalisme— ensuite les femmes les plus belles reviendront automatiquement aux hommes les plus significatifs, les hommes les plus accomplis aux femmes les plus éminentes. Plus un homme sera ensuite parfait dans le physique, le psychique et le spirituel — plus le nombre de femmes parmi lesquelles il pourra choisir sera grand. Seule sera libre l’alliance des hommes les plus nobles avec les femmes les plus nobles, et inversement — les personnes de valeur moindre devront se satisfaire de personnes de valeur moindre. Ainsi, le mode d’existence érotique des personnes de valeur moindre et médiocres sera l’amour libre, celle des élus : le mariage libre. La nouvelle noblesse de reproduction [Zuchtadel : noblesse disciplinée, noblesse d’élevage] du futur n’émergera donc pas des normes artificielles de la culture de castes humaine, mais plutôt des lois divines de l’eugénisme érotique.

Le classement naturel de la perfection humaine remplacera le classement artificiel : du féodalisme et du capitalisme.

Le socialisme, qui a commencé par l’abolition de la noblesse et par le nivellement de l’humanité, culminera dans la production [Züchtung : élevage, culture] de la noblesse, dans la différentiation de l’humanité. C’est ici, dans l’eugénisme social, que réside [56] sa plus haute mission historique, qu’il ne reconnaît pas encore aujourd’hui : mener d’une injuste inégalité, en passant par l’égalité, vers une inégalité juste, en passant par les décombres de toute pseudo-aristocratie, vers une véritable nouvelle noblesse. [57]


APOLOGIE DE LA TECHNIQUE (1922)

I. Le paradis perdu

I.2. Epanouissement et liberté

Page 51

La légende du paradis perdu des temps primitifs [Vorzeit] énonce la vérité suivante, à savoir que l’humain est un banni hors du royaume de la liberté, de l’otium [Muße : loisir intelligent, temps libre] et de la vie naturelle, dans lequel aujourd’hui encore vit la faune de la forêt primaire, et duquel, parmi les humains actuels, quelques insulaires des mers du Sud sont encore les plus proches.

I.3. Surpopulation et migration vers le nord

Page 51

Deux choses ont chassé l’humain de son paradis : la surpopulation et la migration vers des zones plus froides.—

À travers la surpopulation, l’humain a perdu la liberté d’espace : partout il se heurte à ses congénères et leurs intérêts — c’est ainsi qu’il est devenu esclave de la société.
À travers la migration vers le nord, l’humain a perdu la liberté de temps : l’otium. En effet le climat rude le contraint au travail contre sa volonté, pour pouvoir vivoter : c’est ainsi qu’il est devenu esclave de la nature nordique.
La culture a anéanti les trois formes de beauté qui transfiguraient le Dasein de l’humain naturel : la liberté, l’otium, la nature. Elle leur a substitué l’État, le travail et la ville.
L’Européen culturel est un banni du Sud, un banni de la nature. —

I.5. Tentatives de libération de l’humanité

Page 53

L’histoire du monde se compose des tentatives de libération de l’humain, hors du cachot de la société et de l’exil du Nord.
Les quatre chemins principaux par lesquels l’humain a essayé de revenir [heimzukehren] dans le paradis perdu de la liberté et de l’otium, ont été les suivants :
I. Le chemin vers l’arrière (l’émigration) : retour à la solitude et au soleil !
(...)
II. Le chemin vers le haut (la puissance) : toujours plus haut, hors de la foule humaine, vers la solitude, la liberté et l’otium de la haute société[26] [oberen Zehntausend] ! Cet appel a résonné lorsque la puissance est devenue, à cause de la surpopulation, un prérequis de la liberté — à cause des conditions climatiques, un prérequis de l’otium. En effet seul le puissant peut s’épanouir sans avoir besoin de prendre [66] de précautions vis-à-vis de ses congénères — seul le puissant peut se libérer de la contrainte du travail, en laissant les autres travailler pour lui. Dans les pays surpeuplés l’humain se trouve devant un choix, soit marcher sur la tête de ses congénères, soit laisser sa tête se faire piétiner par eux : être maître [Herr : monsieur] ou valet, voleur ou mendiant. — Ce besoin général de puissance a été le père des guerres, des révolutions, et des combats entre les humains. —
III. Le chemin vers l’intérieur (l’éthique) *: finie la foule extérieure, vive la solitude intérieure, fini le travail extérieur vive l’harmonie intérieure ! (...) *Tous les mouvements religieux se réduisent à ce besoin de chercher un moyen de remplacer [Ersatz] l’absence de liberté et le travail extérieurs par la liberté du cœur et la paix de l’âme du cœur.
IV. Le chemin vers l’avant (la technique) : dehors, hors de l’époque du travail d’esclave, vers un nouvel âge de liberté et d’otium, en passant par la victoire de l’esprit humain sur les forces de la nature ! Le dépassement de la surpopulation grâce à l’augmentation de la production, du travail d’esclave humain grâce à la mise en esclavage des forces de la nature. — Le progrès technique et scientifique découle de ces aspirations à briser la domination violente de la nature grâce à son asservissement. — [67]

II. Éthique et technique

II.5. Dépassement de l’État et du travail

Page 58

L’État forcé et le travail forcé, ces deux protecteurs et maîtres tyranniques de l’humain culturel, ne peuvent être aplanis par aucune révolution politique ; seulement par l’éthique et la technique.
Tant que l’éthique n’a pas dépassé l’État forcé, l’anarchie signifie le meurtre et le vol généralisés — tant que la technique n’a pas dépassé le travail forcé, l’otium signifie la mort de faim et de froid généralisées.
Ce n’est qu’à travers l’éthique que l’habitant des pays surpeuplés peut se délivrer [erlösen] de la tyrannie de la société, ce n’est qu’à travers la technique que l’habitant des zones les plus froides peut se délivrer de la tyrannie des violences de la nature.
La mission de l’État est de se rendre lui-même superflu à travers l’encouragement de l’éthique, et de conduire finalement à l’anarchie — la mission du travail est de se rendre lui-même superflu à travers l’encouragement de la technique, et de conduire finalement à l’otium.

Page 59

La courbe de la spirale culturelle, qui mène du paradis du passé au paradis du futur, empreinte le double cours [Doppellauf : fusil à deux canons] suivant :
Anarchie naturelle — surpopulation — État forcé — éthique — anarchie culturelle ;
Otium naturel — migration vers le nord — travail forcé — technique — otium culturel.
Nous nous situons aujourd’hui au milieu de ces deux courbes, tout aussi éloignés des deux paradis : d’où notre misère. L’Européen moyen moderne n’est plus un humain de nature — mais pas encore un humain de culture ; il n’est plus un animal — mais pas encore un humain ; il n’est plus une partie de la nature — mais pas encore maître de la nature. —

II.6. Éthique et technique

Pages 59-60

L’éthique et la technique sont soeurs : l’éthique domine les forces de la nature en nous, la technique domine les forces de la nature autour de nous. Les deux cherchent à contraindre la nature à travers un esprit organisé [gestaltenden].
L’éthique cherche à travers l’abnégation [Verneinung: le dire-non] héroïque à délivrer [erlösen] l’humain : à travers la résignation — la technique, à travers l’affirmation[28] [Bejahung : le dire-oui] héroïque : à travers l’acte [Tat : fait].
L’éthique retourne la volonté de puissance(29) [Machtwillen] de l’esprit vers l’intérieur : elle veut conquérir le microcosme. —
La technique retourne la volonté de puissance de l’esprit vers l’extérieur : elle veut conquérir le macrocosme.
Ni l’éthique seule, ni la technique seule ne peuvent délivrer l’humain nordique : car une humanité qui a faim et froid ne peut être ni rassasiée [73] ni réchauffée à travers l’éthique — car une humanité méchante [böse] et cupide ne peut être ni protégée d’elle-même ni satisfaite à travers la technique.
À quoi sert aux humains toute moralité(30) [Sittlichkeit], si en même temps ils meurent de faim et de froid ? À quoi sert aux humains tout progrès technique, si en même temps ils en mésusent, pour se massacrer et se mutiler les uns les autres ?
La culture de l’Asie souffre davantage de la surpopulation que du froid : elle a ainsi pu renoncer à la technique et s’adonner au développement éthique plus facilement que l’Europe, où l’éthique et la technique doivent se compléter. — [74]

III. L’Asie et l’Europe

III.1. L’Asie et l’Europe

Page 61

La grandeur de l’Asie réside dans son éthique — la grandeur de l’Europe dans sa technique.
L’Asie est la maîtresse à penser du monde en matière de domination de soi [Selbstbeherrschung].
L’Europe est la maîtresse à penser du monde en matière de domination de la nature.

Page 63

L’humain blanc est le fils de l’hiver, de l’éloignement du soleil : pour dépasser le froid, il a dû étendre ses muscles et son esprit aux plus hautes performances et créer lui-même un nouveau soleil ; il a dû dépasser, recréer, soumettre la nature éternellement ennemie.
Sous cette contrainte d’avoir à choisir entre l’acte et la mort, a émergé sur la frange nordique de chaque culture son type le plus fort, le plus héroïque : en Europe le Germain (Nor[d]-mand) [Nor[d]-manne : l’homme du nor[d], le normand], en Asie le Japonais, en Amérique l’Aztèque. —

III.3. Les trois religions

Page 64

La chaleur de l’Inde, qui paralyse toute activité, a créé cette mentalité contemplative ;
le froid de l’Europe, qui contraint à l’activité, a créé cette mentalité active ;
la température tempérée de la Chine, qui demande une harmonieuse alternance d’activité et de contemplation, a créé cette mentalité harmonieuse. —
Ces trois températures ont engendré trois types religieux fondamentaux : le type contemplatif, héroïque et harmonieux.

Page 66

L’Europe est l’héroïne du monde ; sur chaque front de combat de l’humanité, elle est à la pointe des peuples : dans la chasse, la guerre et la technique, l’Européen [81] a plus œuvré que n’importe quel peuple culturel historique, avant lui ou à côté de lui.
(...)
La mission mondiale de l’Asie est la délivrance [Erlösung : rédemption] de l’humanité grâce à l’éthique — la mission mondiale de l’Europe est la délivrance de l’humanité grâce à la technique.
Le symbole de l’Europe n’est ni le sage, ni le saint, ni le martyr — mais le héros, le combattant, le vainqueur et le libérateur. — [82]

IV. La mission technique mondiale de l’Europe

IV.3. Les fondements techniques de l’Europe

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L’Europe est une fonction de la technique.
L’Amérique est la plus haute amélioration de l’Europe. —

IV.4. Le tournant mondial de la technique

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La technique désigne un point charnière dans l’histoire de l’humanité, semblable au feu. Dans des dizaines de milliers d’années, l’histoire sera partitionnée en une époque pré-technique et une époque post-technique. L’Européen, — qui à ce moment-là se sera éteint depuis longtemps —, sera loué par cette humanité future, en tant que père du tournant technique mondial, comme un rédempteur [Erlöser : « délivreur »].

V. Chasse — Guerre — Travail

V.4. Travail

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Ni la chasse ni la guerre seules ne pouvaient à la longue nourrir l’humain : il a dû procéder une fois de plus à un changement de front et entamer un combat contre la nature sans vie. L’âge du travail commença. Les guerres et les aventures de chasse apportaient encore de la gloire et des sensations — mais le point clé [Schwerpunkt : centre de gravité] de la vie s’était déplacé vers le travail, car lui seul lui apportait la nourriture dont il a besoin pour son maintien.
Le travail a été une forme spéciale de guerre — la technique une forme spéciale d’esclavage : au lieu des humains, les forces de la nature ont été vaincues et réduites en esclavage.

V.5. La guerre en tant qu’anachronisme

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La chasse, la guerre et le travail sont si multiplement passés les uns dans les autres qu’il est impossible de les séparer chronologiquement les uns des autres. Précédemment, l’âge de la chasse s’est déroulé en parallèle à celui de la guerre pendant des milliers d’années — tout comme aujourd’hui l’âge de la guerre se déroule en parallèle à celui du travail ; mais le point clé [Schwerpunkt : centre de gravité] du front de combat s’est déplacé et se déplace constamment. Tandis qu’originellement la chasse se situait au centre des capacités humaines, par suite la guerre s’y est substituée, et pour finir le travail.
La guerre, qui jadis était essentielle et nécessaire au progrès de la culture, a perdu cette signification et est devenue un dangereux nuisible de la culture. Aujourd’hui, les guerres ne désignent pas les étapes du progrès — plutôt les inventions.

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Dans l’âge du travail, l’exaltation de la guerre est tout aussi inactuelle que l’exaltation de la chasse dans l’âge de la guerre. Initialement, [94] le tueur de dragons et de lions était le héros ; puis ce fut le commandant en chef [Feldherr] ; et finalement l’inventeur.
Lavoisier a plus œuvré pour le développement humain que Robespierre et Bonaparte réunis.

V.6. Technique

L’âge du travail se décompose en celui de l’agriculture et celui de la technique.
En tant qu’agriculteur, l’humain est surtout défensif par rapport à la nature — en tant que technicien, il est offensif.

VI. La campagne militaire de la technique

VI.1. La misère de masse européenne

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Le terrible travail forcé commence pour l’Européen dans sa septième année avec l’école forcée, et ne s’achève habituellement qu’avec la mort. Son enfance est empoisonnée par la préparation au combat pour la vie, qui va lui dévorer durant les décennies suivantes l’entièreté de son temps et de sa personnalité, de sa force vitale et de sa joie de vivre. Au-dessus de l’otium se dresse la peine de mort : l’Européen moyen non fortuné se trouve devant un choix : soit travailler jusqu’à l’épuisement, soit affamer tous ses enfants. Le fouet de la faim le pousse à continuer de travailler, en dépit de l’épuisement, du dégoût et de l’aigrissement [Erbitterung: exaspération].
Les peuples européens ont entrepris deux essais pour améliorer cet état lamentable : la politique coloniale et le socialisme. — [97]

VI.3. Politique sociale

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Le socialisme seul n’est pas en mesure de mener l’Europe hors de sa non- liberté et de sa misère, vers la liberté et la prospérité. Ni un bulletin de vote, ni des actions boursières ne pourraient dédommager le mineur de charbon pour le fait de devoir passer sa vie dans des cavernes et dans des puits de mine. La plupart des esclaves de despotes orientaux sont plus libres que ce travailleur libre d’une usine socialisée [sozialisierten].
Le socialisme méconnaît le problème européen lorsqu’il voit dans la répartition injuste le mal fondamental de l’économie européenne, au lieu de le voir dans la production insuffisante. La racine de la misère européenne réside dans la nécessité du travail forcé — non dans l’injustice de sa répartition. Le socialisme se trompe lorsqu’il voit dans le capitalisme l’ultime cause du terrible travail forcé sous lequel gémit l’Europe ; car en vérité seule une partie très réduite du rendement européen s’écoule vers les capitalistes et leur luxe: la plus grande partie de ce travail sert à métamorphoser une partie du monde, de stérile à féconde, de froide à chaude, et à maintenir sur elle un nombre d’humains, qu’elle ne pourrait pas nourrir de façon naturelle.
L’hiver et la surpopulation de l’Europe sont des despotes plus durs et cruels que tous les capitalistes réunis : mais ce ne sont pas les politiciens qui mènent la révolution [100] européenne contre ces impitoyables maîtres tyranniques — plutôt les inventeurs. —

VI.4. Révolution technique mondiale

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L’impérialisme coloniale aussi bien que le socialisme sont des palliatifs, et non des remèdes pour la maladie européenne ; ils peuvent soulager la misère, non la bannir ; repousser la catastrophe, non l’empêcher. L’Europe devra se décider, soit à décimer sa population et commettre son suicide — soit à guérir à travers une augmentation considérable de la production ainsi qu’une amélioration de la technique. En effet seul ce chemin peut mener les Européens à la prospérité, à l’otium et à la culture, tandis que les voies de sauvetage socialiste et coloniale débouchent en fin de compte sur une impasse.
L’Europe doit clairement comprendre que le progrès technique est une guerre de libération du genre le plus grand contre le tyran le plus dur, le plus cruel et le plus impitoyable : la nature nordique.

VI.7. L’inventeur comme rédempteur

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Dans notre époque historique européenne, l’inventeur est un plus grand bienfaiteur de l’humanité que le saint.
L’inventeur de l’automobile a fait plus de bien pour les chevaux et leur a épargné plus de souffrances que toutes les associations de protection des animaux du monde réunies.
(...)
L’inventeur qui, à travers quelque chose comme la fragmentation de l’atome [Atomzertrümmerung], va créer un remplaçant pratique du charbon — aura plus œuvré pour l’humanité que le plus réussi des réformateurs sociaux : car il délivrera les millions de mineurs de charbon de leur Dasein humainement indigne et effacera [tilgen] une grande partie de la charge de travail humain — tandis qu’aujourd’hui aucun dictateur communiste ne pourrait éviter que des humains soient condamnés à cette vie minière souterraine.

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Nous nous trouvons aussi devant un tournant mondial ; l’humanité attend aujourd’hui de l’ère socialiste l’aube de l’âge d’or. Le tournant mondial espéré viendra peut-être : non, cependant, à travers la politique — mais à travers la technique ; non à travers un révolutionnaire — mais à travers un inventeur ; non à travers Lénine — mais à travers un homme [Mann] qui vit peut-être déjà aujourd’hui quelque part, anonymement, et qui réussira un jour à délivrer l’humanité de la faim, du froid et du travail forcé, à travers l’exploitation d’une source d’énergie nouvelle et sans précédent. — [105]

VII. But final de la technique

VII.1. Culture et esclavage

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Toute culture jusque-là a été fondée sur l’esclavage : l’antiquité sur les esclaves, le Moyen Âge sur les serfs, les temps modernes sur les prolétaires. —

VII.2. La machine

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La machine a une double tâche : augmenter la production ainsi que réduire et alléger le travail.
À travers l’augmentation de la production, la machine brisera la misère — à travers la réduction du travail, l’esclavage.
(...) La machine offre ainsi un aperçu sur la spiritualisation et l’individualisation du travail humain : sa composante libre et créatrice grandira au détriment de sa composante [108] automatico-mécanique — la composante spirituelle au détriment de la composante matérielle. Alors seulement le travail cessera de dépersonnaliser, de mécaniser et d’humilier les humains ; alors seulement le travail deviendra semblable au jeu, au sport et à l’activité créatrice libre.

VII.3. Déconstruction de la grande ville

Pages 88-89

À côté de ces deux tâches: la soulagement de la misère par l’augmentation de la production et la déconstruction [Abbau] de l’esclavage par la réduction et l’individualisation du travail — la machine a encore une troisième mission culturelle : la dissolution de la grande ville moderne et le retour [Zurückführung] des humains à la nature. —
L’origine de la grande ville moderne remonte à un temps où le cheval était le moyen de transport le plus rapide, et où il n’y avait pas encore de téléphone. À cette époque il était nécessaire que les humains vivent dans la plus proche proximité de leur lieu de travail, et par conséquent qu’ils vivent parqués tous ensembles sur un espace étroit.
La technique a modifié ces présupposés : le chemin de fer, la voiture, le vélo et le téléphone permettent aujourd’hui au travailleur d’habiter éloigné de beaucoup de kilomètres de son bureau [Bureau]. Il n’y a plus aucune nécessité de construire [109] et d’agglomérer des immeubles [Zinskasernen].

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Un temps viendra, où les humains ne comprendront plus comment il fut un jour possible de vivre dans les labyrinthes de pierre que nous connaissons aujourd’hui en tant que grandes villes modernes. Leurs ruines seront alors contemplées avec étonnement, comme aujourd’hui le sont les logis des habitants des cavernes. Les médecins se casseront la tête pour tenter de comprendre comment, d’un point de vue hygiénique, il était malgré tout possible dans une telle rupture d’avec la nature, la liberté, la lumière, et l’air, dans une telle atmosphère de suie, de fumée, de poussière, de saleté, que des humains puissent malgré tout vivre et pousser [gedeihen]. —

Pages 91-92

Il y a peu de siècles, la possession d’une fenêtre en verre, d’un miroir, d’une montre, de savon ou de sucre était encore un grand luxe : la production technique a répandu sur les masses ces biens jadis rares. À l’instar d’aujourd’hui où tout le monde porte une montre et possède un miroir — chaque humain pourrait peut-être dans un siècle avoir une voiture, sa villa et son téléphone. Plus les chiffres de la production augmentent rapidement par rapport aux chiffres de la population, et plus la prospérité doit augmenter vite, plus elle doit devenir générale.
C’est le but culturel de la technique que de proposer un jour à tous les humains les possibilités de vie dont disposent aujourd’hui ces millionnaires. C’est pourquoi la technique se bat contre la misère — non contre la richesse ; contre la servitude — non contre la domination. Son but est la généralisation de la richesse, de la puissance, de l’otium, de la beauté et du bonheur : non la prolétarisation, mais l’aristocratisation de l’humanité ! — [113]

VIII. L’esprit de l’âge technique

VIII.1. Pacifisme héroïque

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Le paradis du futur ne peut pas être dérobé par un putsch — il se conquiert seulement par le travail.
L’esprit de l’âge technique est héroïco-pacifiste: héroïque car la technique est une guerre avec un objet modifié — pacifiste [pazifistisch] car son combat ne se dirige pas contre les humains mais contre les violences de la nature. —

VIII.4 Emancipation

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L’émancipation des Asiatiques s’accomplit sous les mêmes conditions que l’émancipation des femmes ; elle est un symptôme de l’européanisation de notre monde : car elle ne mène pas le type oriental à la victoire — mais plutôt l’européen. Tandis qu’auparavant l’esprit oriental dominait l’Europe grâce au christianisme — aujourd’hui les Européens blancs et colorés se partagent la domination du monde. Le soi-disant éveil de l’Orient signifie le triomphe de l’Européen jaune sur le vrai Oriental ; il ne mène pas à la victoire — mais à l’anéantissement de la culture orientale. Là où à l’Est vainc le sang de l’Asiatique, vainc avec lui l’esprit de l’Europe : l’esprit masculin, dur, dynamique, orienté vers un but, fort, rationaliste. Pour prendre part au progrès, l’Asiatique doit échanger son âme et sa culture harmonieuses contre l’âme et la culture européo-vitalistes. — L’émancipation des Asiatiques signifie leur entrée dans l’armée européo- américaine [119] du travail et leur mobilisation pour la guerre technique.
Après l’achèvement victorieux de celle-ci, l’Asiatique pourra de nouveau être asiatique et la femme féminine : l’Asie et la femme pourront alors élever [erziehen : éduquer] le monde à une harmonie plus pure. Mais en attendant, les Asiatique doivent porter l’uniforme européen — les femmes le masculin.

VIII.6. Le danger bouddhiste

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Toute propagande passivisante et ennemie de la vie, se dirigeant contre le développement technique et industriel — est une haute trahison contre l’armée du travail [Arbeitsarmee] de l’Europe : car elle est un appel au retrait et à la désertion pendant le combat décisif. — Les tolstoïens et les néo-bouddhistes se rendent coupables de ce sacrilège culturel : ils appellent l’humanité blanche, peu de temps avant sa victoire finale, à capituler devant la nature, à évacuer les terrains conquis par la technique et à revenir volontairement à la primitivité de l’agriculture et de l’élevage de bétail. Fatigués du combat, ils veulent qu’à l’avenir l’Europe vivote dans sa nature pauvre un Dasein pauvre et enfantin — au lieu de se créer victorieusement un nouveau monde, à travers le plus haut effort de l’esprit, de la volonté et des muscles.
(...)
Le bouddhisme est un merveilleux couronnement des cultures matures— mais un cadeau empoisonné pour les cultures en devenir. Sa vision du monde est bonne pour la vieillesse, pour l’automne — tout comme la religion de Nietzsche l’est pour la jeunesse, pour le printemps — la croyance [Glauben : foi] de Goethe pour l’apogée [Blüte : la floraison] de l’été. —
Le bouddhisme étoufferait la technique — et avec elle l’esprit de l’Europe. —
(...)
Le mysticisme de l’Asie menace la clarté spirituelle de l’Europe — la passivité de l’Asie menace [122] sa force d’agir masculine. Si et seulement si l’Europe résiste à ces tentations et se souvient de ses idéaux hellènes et germaniques — alors elle pourra combattre jusqu’à la fin pour le combat technique, afin de délivrer [erlösen] un jour elle-même et le monde. [123]

IX. Stinnes et Krassine

IX.1. États économiques

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Depuis l’effondrement des trois grandes monarchies militaires européennes, il n’y a plus dans notre partie du monde que des États économiques : les problèmes économiques sont au centre de la politique intérieure et extérieure :* Mercure(52) régit le monde* ; en tant qu’héritier de Mars — en tant que précurseur [Vorlaüfer] d’Apollon.
(...)
L’État communiste, tout comme le capitaliste, sont des États du travail : ce ne sont plus [124] des États de guerre — et pas encore des États de culture.
(...)
Le capitalisme et le communisme sont essentiellement apparentés, à l’instar du catholicisme et du protestantisme qui se sont considérés pendant des siècles comme des extrêmes contraires, et se sont de façon sanglante combattus par tous les moyens. Ce n’est pas leur différence, mais leur parenté, qui est à l’origine de la haine amère [erbitterten : exacerbée] avec laquelle ils se persécutent mutuellement.
Tant que les capitalistes et les communistes resteront sur cette position selon laquelle il serait permis et enjoint de mettre à mort ou d’affamer des humains parce qu’ils défendent d’autres principes économiques — les deux se situeront, pratiquement, à un niveau de développement éthique très réduit. Théoriquement, les présupposés et les buts du communisme sont néanmoins plus éthiques que ceux du capitalisme, parce qu’ils émanent de points de vue plus objectifs et justes.
Pour le progrès technique, les points de vue éthiques ne sont cependant pas déterminants : ici la question décisive est celle de savoir lequel, du système capitaliste ou du système communiste, est le plus rationnel et le plus approprié pour mener à bien le combat technique de libération contre les forces de la nature. —

IX.2. Le fiasco russe

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Vouloir mesurer l’échec du communisme dans sa cinquième année sous ces circonstances aggravées, à l’aune du succès du capitalisme longuement mûri, serait aussi injuste que de vouloir comparer un enfant nouveau-né avec un homme adulte, et à partir de là constater que l’enfant serait un idiot — alors qu’en lui sommeille peut-être un génie en devenir. —

IX.3. Productions capitaliste et communiste

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Le principal avantage technique du communisme réside en ceci qu’il a la possibilité de concentrer la totalité [127] des forces productives et des trésors de la nature de ses zones économiques et de les utiliser rationnellement d’après un plan unitaire. Ce faisant, il économise toutes les forces que le capitalisme gaspille dans le repoussement de la concurrence. La planification principielle de l’économie communiste, qui entreprend aujourd’hui d’électrifier rationnellement l’immense empire russe d’après un plan unitaire, représente techniquement un avantage essentiel par rapport à l’anarchie de la production capitaliste. L’armée du travail communiste se bat sous un commandement uniforme et solidaire, contre la nature ennemie — tandis que les bataillons éclatés du capitalisme ne se battent pas seulement contre l’ennemi commun, mais en partie aussi les uns contre les autres pour le renversement des concurrents.
Krassine tient en outre son armée plus fermement en main que Stinnes : car les travailleurs de l’armée de Stinnes comprennent clairement qu’une partie de leur travail sert à l’enrichissement d’un entrepreneur étranger, ennemi — tandis que les travailleurs de l’armée de Krassine sont conscients du fait qu’ils travaillent pour l’État communiste, dont ils sont les parties prenantes et les piliers. Stinnes apparaît à ses travailleurs comme un oppresseur et un adversaire — Krassine comme un leader [Führer] et un allié. Voilà pourquoi Krassine peut prendre le risque d’interdire des grèves et d’introduire des dimanches travaillés — tandis que pour Stinnes ce serait impossible.

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Le capitalisme n’échouera pas à cause de ses défauts techniques mais à cause de ses défauts éthiques.
(...)
Le futur appartient à Krassine — l’expérimentation [Experiment] russe est décisive pour l’économie du présent.

IX.4. Mercenaires et soldats du travail

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À l’âge de la guerre, au capitalisme correspondait l’armée des mercenaires [Söldnerheer] — au communisme l’armée du peuple.

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Dans un État capitaliste, le travailleur est un mercenaire, l’entrepreneur un condottiere du travail — dans un État communiste, le travailleur est un soldat [Soldat] d’une armée du peuple, qui dépend de généraux employés par l’État.
(...) La réforme de l’armée du travail, que le communisme est en train de mener, correspond en tout point à la réforme de l’armée à laquelle tous les États modernes ont procédé.

IX.5. Capitalisme social — Communisme libéral

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Aucune justification théorique du capitalisme ne plaide mieux en faveur de ce système que l’indiscutable fait que le sort des travailleurs américains (dont beaucoup vont à l’usine avec leur propre voiture) soit meilleur pratiquement que celui des travailleurs russes qui, uniformément entre collègues, ont faim et meurent de faim. En effet la prospérité est plus essentielle que l’égalité : mieux vaut que beaucoup deviennent prospères et peu riches — plutôt que domine une misère générale et uniforme. Seules l’envie et la pédanterie [Pedanterie] peuvent s’opposer à ce jugement.

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L’abolition de la propriété privée ne peut, en l’état actuel de l’éthique, qu’échouer à cause d’insurmontables résistances psychologiques. Néanmoins le communisme reste un point charnière dans le développement économique, passant d’un État d’entrepreneurs à un État de travailleurs — et dans le développement politique, passant d’un système stérile de démocratie ploutocratique à une nouvelle aristocratie sociale d’humains spirituels. —

IX.6 Trusts et Syndicats

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Deux groupes de force économiques commencent, dans les États du travail capitalistes, à se partager la direction de l’économie : les représentants [Vertreter] des entrepreneurs et des travailleurs — les trusts et les syndicats. Leur influence sur la politique croît et va dépasser en importance celle des parlements. Ils se complèteront et se contrôleront réciproquement comme jadis le sénat et le tribunat, la chambre haute et la chambre basse. Les trusts dirigeront la mise sous contrainte des forces de la nature et la conquête des trésors de la nature— les syndicats contrôleront la répartition des prises [Beute : proies].

X. De l’état du travail à l’état culturel

X.1. Culte des enfants

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Notre époque est simultanément l’époque du combat de la technique et l’époque de préparation de la culture.
(...)
La division de l’humanité en maîtres [Herren] et esclaves(54) [Sklaven], en émissaires de la culture et travailleurs forcés, est toujours en vigueur aujourd’hui : mais ces castes commencent à se déplacer du social vers le temporel. Nous ne sommes pas [136] les esclaves de nos contemporains — mais de nos petits-enfants.

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Le culte de l’enfant, à l’Ouest, s’enracine dans la croyance [Glauben : foi] en le développement. L’Européen voit dans ce qui est plus tardif quelque chose de mieux, de plus hautement développé ; il croit que ses petits- enfants seront plus dignes de liberté que lui et ses contemporains : il croit que le monde avance. Là où l’Oriental voit le présent suspendu, en équilibre [137] entre le passé et le futur — il apparaît à l’Européen comme une boule qui roule, se détachant toujours plus vite de son passé, pour se précipiter dans un futur inconnu. L’Oriental demeure au-delà du temps ; l’Européen va avec le temps : il repousse le passé et embrasse son futur. Son histoire est un perpétuel règlement de compte avec le passé et une ruée vers le futur. Dans la mesure où il fait l’expérience [miterlebt] de l’avancée du temps, l’immobilité signifie pour lui la régression. Il vit dans le monde héraclitéen du devenir — l’Oriental dans le monde parménidien de l’être [Seins].

X.2 Devoir du travail

Page 112

Le développement [Aufbau] de l’État du travail est le seul devoir culturel [Kulturpflicht] de notre âge. L’État du travail est la dernière étape de l’humain sur son chemin vers le paradis culturel du futur.
Développer l’État du travail signifie : mettre toutes les forces du travail tangibles, de la nature et des humains, de la façon la plus rationnelle, au service de la production et du progrès technique. — [138]
Dans une époque qui construit les fondements de la culture à venir, personne n’a droit à l’otium. Le devoir du travail général est en même temps un devoir éthique et un devoir technique.
Popper-Lynkeus a ébauché dans son ouvrage «Die allgemeine Nährpflicht » [« Le devoir de nourrir général »] un programme idéal pour le développement de l’État du travail. Il y demande qu’au devoir militaire soit substitué un service du travail obligatoire et général, lequel durerait plusieurs années et permettrait à l’État de garantir à vie à chacun de ses membres un minimum de subsistance, en termes de nourriture, habitat, habillement, chauffage et soins médicaux. Ce programme pourrait briser la misère et l’inquiétude [Sorge : souci], en même temps que la dictature des capitalistes et des prolétaires. À travers le devoir du travail général, les différences de classe cesseraient, comme cesse avec l’introduction du devoir militaire général, en temps de guerre, l’opposition entre les soldats de métier et les civils.— L’abolition du prolétariat est un idéal plus souhaitable que sa domination(55). —

X.3. L’état des producteurs et l’état des consommateurs

Pages 115-116

Le rival et héritier de l’État entrepreneurial capitaliste, l’État des travailleurs communiste, reprend une partie des erreurs de son prédécesseur : car chez lui aussi domine un groupe de producteurs, lui aussi est un État de producteurs.
L’État culturel du futur sera en revanche un État de consommateurs : sa production sera contrôlée par les consommateurs — et non, comme aujourd’hui, la consommation contrôlée par les producteurs. On ne produira pas par amour du profit— mais par amour du bien-être [Wohlfahrt : aide sociale] et de la culture généralisés : non par souci des producteurs, mais par souci des consommateurs.
C’est la mission future du parlement que de représenter et de défendre les intérêts concordants de tous les consommateurs contre les intérêts divergents des groupes de producteurs, dont les porte-paroles sont aujourd’hui encore les députés et les partis.

X.4 Révolution et technique

Page 116

Qui tue un humain volontairement [mutwillig] — commet un sacrilège à l’égard de l’esprit saint de la communauté ; qui détruit volontairement une machine — commet un sacrilège à l’égard de l’esprit saint du travail. De ce double sacrilège s’est rendu coupable au plus haut degré le capitalisme pendant la Guerre mondiale, le communisme pendant la Révolution russe. Les deux n’ont fait preuve de respect ni pour la vie humaine, ni pour l’œuvre humaine.

Page 117

Si l’Europe suit l’exemple destructif de la Révolution russe, elle risque alors, au lieu de s’engager vers un nouvel ordre post-capitaliste, de sombrer à nouveau dans la primitivité de la barbarie pré-capitaliste et de se retrouver contrainte de retraverser une fois de plus l’époque capitaliste.

X.5 Les dangers de la technique

Page 121

Marx est le prophète du lendemain – Nietzsche le prophète du surlendemain(58).
Tous les grands événements sociaux et spirituels de l’Europe actuelle se rattachent d’une façon ou d’une autre à l’œuvre de ces deux hommes : la révolution mondiale, sociale et politique, est placée sous le signe de Marx — la révolution mondiale, éthique et spirituelle, est placée sous le signe de Nietzsche. Sans ces deux hommes, la face de l’Europe serait autre. —
Marx et Nietzsche, les proclamateurs de l’idéal du futur, social et individuel, sont tous deux des Européens, des hommes, des personnes dynamiques.


PACIFISME (1924)

1. Dix années de guerre

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Le pacifisme oublie qu’un loup est plus fort que mille moutons — et que le nombre, en politique comme en stratégie, n’est décisif que s’il est bien mené et bien organisé.

6. Le programme de paix de la realpolitik

Page 140

C’est une illusion de beaucoup de pacifistes que de voir dans l’affaiblissement de leur propre armement le chemin le plus sûr vers la paix. Sous certaines circonstances la paix exige le désarmement — sous d’autres circonstances cependant, l’armement.

7. Encouragement de la pensée pacifique

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L’une des tâches les plus essentielles du pacifisme consiste en l’introduction d’une langue de compréhensibilité [Verständigungssprache : langue d’entente] internationale. En effet, avant que les peuples ne puissent parler entre eux, on peut difficilement exiger d’eux qu’ils se comprennent.
(...)
En tant que langue d’échange internationale, il ne peut être question que de l’espéranto ou de l’anglais. La question de savoir laquelle de ces deux langues sera choisie pour les échanges internationaux est insignifiante à côté de l’exigence que le monde s’unisse à propos de l’une de ces deux langues. [178]

©Philippe Gouillou - Mercredi 16 août 2017


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Citation de cette page :

Gouillou, Philippe (2021) : "Le Plan Kalergi : Extraits". Evoweb. Mercredi 16 août 2017. https://evoweb.net/blog2/20170816-plan-kalergi.htm
[Le Plan Kalergi : Extraits](https://evoweb.net/blog2/20170816-plan-kalergi.htm "Evoweb : Le Plan Kalergi : Extraits (Mercredi 16 août 2017)"). Philippe Gouillou. *Evoweb*. Mercredi 16 août 2017